extrait d’une nouvelle inédite : « La Langueur des banlieues »

Nous habitions une villa cossue, entourée d’un jardin, dont les tourelles et les pignons pointus évoquaient quelque château miniature. Le grenier donnait sur le parc, immense, d’une maison de retraite. À l’horizon tout proche, il rejoignait les arches massives, mais aérées, très hautes, de l’aqueduc qui franchissait notre banlieue. Un cimetière s’étendait, au pied des voûtes. Lorsque nous jouions sous les combles, nous pouvions apercevoir, dans les allées bien ratissées de l’établissement, des personnes hésitantes, courbées, au bras de quelque visiteur, et des tombeaux garnis de fleurs artificielles. De l’automne au printemps, les arbres de ces deux domaines vibraient aux musiques du conservatoire, dont les locaux vétustes marquaient la fin du territoire des vieux.

Quand j’intégrai l’école primaire, je franchis souvent ce dernier, et dans les brumes noircies de novembre, combien de fois n’eus-je pas à croiser, sur les chemins du parc, des fantômes chenus ! Quel réconfort d’apercevoir, entre les branches dénudées, à travers les rideaux de notre pavillon, des lampes aux lueurs couvées dans une chaleur douce…

Cet univers commença à se dégrader, très progressivement, quand nos parents s’arrêtèrent de vieillir, un phénomène étrange : ils régressaient, aurait-on dit, rajeunissaient, se montraient vraiment puérils. Lorsque nous revenions du lycée (ensemble, car nous fréquentions tous le même), nous les découvrions inactifs, ou en train de jouer : rien n’était fait, dans la maison, ni cuisine ni ménage, la boîte à lettres de la grille débordait de courrier.

Au début de cette période, ils tentèrent de se justifier en invoquant la conjoncture internationale, qui se détériorait de jour en jour, répétait-on. Trop tard pour songer à survivre, à nourrir des projets. Acceptant ces nouvelles données, nous mîmes la main à la pâte. Et nous aurions trouvé du plaisir à ces tâches (d’autant plus que le nombre de cours diminuait de semaine en semaine), si nous ne nous étions aperçus que nous dépassions nos ascendants, non seulement sur le plan moral, mais aussi sur le plan physique : nous mûrissions vraiment très vite.

Bien qu’abondants et drus, nos cheveux blanchirent brusquement (heureusement, nos traits demeuraient jeunes). Que faire ? Quitter le pavillon et la banlieue dont l’atmosphère délétère, certainement, nous empoisonnait peu à peu ? Impossible de recourir aux conseils des voisins, qui avaient déserté la ville. Tous les magasins avaient fermé (nous survivions grâce à des provisions, dans les congélateurs des caves). Malgré quelques bandes dangereuses, qui pillaient les maisons, et que nous évitions soigneusement, il semblait que nous vivions seuls, dans la cité. Avec de simples bougies pour tout éclairage, nous allions jusqu’à nous cacher derrière les volets, de jour comme de nuit.

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