Sans doute l’un des livres qui, à notre connaissance, jouent le plus sur la résonance. « La lange doit être résonante avant d’être significative », disait Julien Gracq. Ici est unique la façon dont le son imprègne le sens et modèle ainsi la vision poétique l’école de la poésie se fond en celle de la vie. Il s’agira donc en ces pages de rythme et de souffle, mais aussi (surtout ?) de cet appel venu de forces mystérieuses et qui demeurerait longtemps après le dernier mot évanoui.
En l’espace littéraire de Marie-Line Jacquet, la rêverie autour de la résonance de certains mots peut, si l’on n’y prend garde, se muer en inquiétude. Certains poètes sont d’inquiétude comme on est d’un pays : célébrer la beauté est pour eux essentiel. Marie-Line Jacquet écrit dans un espace vague, flottant, dilaté, un espace perdu en somme, et les scintillements de son écriture nous guident ainsi vers les voies secrètes de la mélancolie (« mélancolie » au sens de : ce là-bas sans nom qu’on ne peut/on ne veut-rejoindre). Et l’extrême humilité de ses poèmes (au sens premier du terme ; proche de l’humus, de la terre) n’a d’égal que le saisissement de la vie à la saignée de l’instant, comme si les vieux secrets de la matière se mettaient à douter des forces au présent.
Et le sens, direz-vous ? Eh bien, Marie-Line Jacquet marche à sa rencontre. Mais très lentement, nulle hâte de parvenir au but. Et d’ailleurs quel but, puisque toute signification porte en elle les stigmates de l’errance (« ne pas savoir où mènent/les chemins les détours »). La poète parle ici de la nuit, de la pluie, ailleurs des arbres… et son aptitude à la chasse subtile des lieux et des moments en fait une poète géologique, à l’écoute des fréquences, de « l’odeur maigre/citronnée des tilleuls » et de ces « terres vacantes sans vrai nom », et aussi des failles que les lieux, les moments (et les hommes) portent en eux (« et l’absence s’inscrit/au creux du cœur »).
Les images surgissent en rafales. Ont-elles lien entre elles ? La poète ne cherche surtout pas à dérouler le fil d’un récit (poétique ou non) mais à croiser d’innombrables fils de couleur différente pour un patchwork que le lecteur sera libre d’endosser lorsque la dureté des temps (intérieurs et/ou extérieurs) deviendra trop insupportable (« prenons de vitesse/les fièvres de la mort »). Le recours à l’image est ici, au fond, tentative de mettre des mots sur la présence « absence », et donc de conjurer la perte initiale : peut-être est-ce tout simplement une définition de la création.
Voici donc un livre créateur d’images et de sensations, tout en luminosités fluctuantes. Et cette suite de moments disséminés, sédimentés, touche à la fois à l’intime et à l’essentiel. Marie-Line Jacquet, en cet ouvrage fait de plans-séquences cinématographiques ourlés de brume, taille cette brume dans le cristal de trouvailles poétiques et linguistiques (« se réverbèrent meringues », « de mille espoirs soleils fontaines »).
Poète des confins et des parages, là où l’appel des sens à toutes choses de la vie trouve son acmé, la poète ne cherche à coloniser ni les lieux ni les instants : elle se met dans un état de disponibilité totale à l’aventure poétique, et ce vagabondage ouvre une multiplicité de pistes, de virtualités qui creusent le réel de ce qu’on pourrait nommer l’odyssée de la parole.
Jean-Louis Bernard