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Voyage au Viêt-Nam : poème en prose inédit

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VIÊT-NAM

Hanoï. Dans la ville végétale les immeubles se tordent, inextricablement, sous la pression des branches. Ces maisons surgies de très loin, comme de profondeurs lacustres, les banians les bousculent, branches mêlées à des fils électriques, à des cordes à linge. Bâtisses aiguës imbriquées. Sur les ruelles, des boutiques dégorgent des fantasmagories, des génies et des glaces ou bien c’est la circulation, tout au contraire, qui investit les chambres (motos au pied des lits, et des télévisions).

Dans une banlieue pauvre, consacrée à l’artisanat du bois, quelques villas plus riches, très tape-à-l’œil, très escarpées, très solitaires, effleurent les rizières de leur carton-pâte. Quartiers engourdis de poussière, hennissements des carrioles des cours. Douceur feutrée des ateliers où flottent les théières, entre des murs d’un vert liquide, comme badigeonnés de froid. Dans la pagode toute proche, sous le regard de statues moites, des enfants nous poursuivent, jusqu’aux enchantements d’un lieu rouge et laqué. Loin de la dilution des herbes par les eaux, un feu perdure ici, confit dans l’encens, dans la brise, les réductions d’arbustes…

Le fleuve, pourtant, n’en a pas fini. Compact comme du lait, profond comme une brume. Suspendus au ciel bas, parmi des palmes en éventail, les bananiers diffusent des lueurs, une substance cireuse et verte…

Les rizières creusent les vallées, vertigineuses platitudes, au pied de monts si hauts, si raides qu’ils renvoient aussitôt les yeux aux broderies laquées des fonds. Contractées quelquefois en débris de miroirs, comme des lacs qui germent, de plus en plus lointains, de plus en plus tendus, et déglutis par les montagnes.

Au cœur de bourgades surpeuplées, pyramides fruitées au milieu des déchets, veillées par des filles parées, splendides, des reines dans leurs robes enluminées.

Dans le désordre des gargotes, aussitôt les mets présentés, on se jette dessus avec voracité, chacun piochant dans tous les plats avec ses propres baguettes, préalablement essuyées en un geste plus symbolique qu’efficace. Il en tombe partout : bouillons qui se répandent, des brassées d’herbes parfumées, épices sensuelles (jonchées de coriandre et de citronnelle, de gingembre, de légumes verts, inconnus et goûteux), bataille qui se termine à peine commencée.

Trekking, à présent, marche lourde. Dans les hautes vallées, l’eau retirée dégage des bandes de terre aride, des sécheresses de plateau. De ces parages sourd un peuple noir, hotté, aux parapluies de fête. Désireux d’un ciel cru, d’une altitude épaisse… Les rizières dilatées, dans l’évaporation, impriment aux sommets de longs étirements, des ondulations grelottantes….

Des torrents châtient les arbres, amers dans le ciel clos. Floraisons buissonnantes (hibiscus, liserons, rhododendrons géants). Dans les vallées ailées, et transversales, des entonnoirs de forêts gorgés d’une rage, une jungle lavée, parfaite, des kilomètres de cris étouffés.

Un peu plus bas, un curieux Cantal oriental, où des sommets érodés flottent, autour de plateaux verts, plantés de thé. Ils se meuvent dans les nuages, si librement, nous paraît-il, que l’altitude demeure un mystère. Puis, nous traversons des lacs blancs, comme cousus au ciel, visibles par leurs seules îles. D’autres bleutés, dont des collines fleuries ont ciselé les baies…

Il semble que l’air nous balance et jamais ce n’est terminé, toujours il y a d’autres montagnes, à l’horizon, dentées et menaçantes, jusqu’à se révéler brisées, et noires de sang sec. Vidées le soir comme des spectres, sous un soleil tout rond, comme un rubis déteint. Il faudra bien rentrer, nous disons-nous, nous n’aurons rien fait qu’effleurer…

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