Extrait de la nouvelle inédite « La dernière randonnée »
Depuis plusieurs semaines, nous parcourions l’ultime réserve de notre vieille terre.
Un soir, nous atteignîmes une région limpide, où des monts élevés, sereins, renouvelèrent notre espoir de rallier, à la fin de cette aventure, notre destination secrète (nous ignorions laquelle).
Autant leurs cimes se découpaient avec netteté dans l’atmosphère, autant leurs bases se noyaient dans la touffeur spongieuse des bois. L’impossibilité de distinguer leurs fondations augmentait donc, pour nous, l’altitude de ces cônes suspendus… Sur l’encre des lisières à vif, les sapins dégorgeaient, dans la vallée, des flots de ténèbres humides.
Nous nous réjouissions, Luc et moi-même, de pénétrer ces terres difficiles. Depuis les hameaux de la plaine, tout prêts de se vider, une petite fille nous accompagnait. Très peu soucieuse de rester avec ses parents, elle avait préféré se joindre à nous, pour nous guider, dit-elle (connaissait-elle la clef de la survie ? Nous aimions le supposer…)
On la nommait Arielle.
Nous explorâmes les merveilles de ces contrées du feu. Comme imprimées dans les coulées d’un lent basalte, les cicatrices de l’Histoire marquaient tous ses reliefs. Malgré les embrouillements des frontières, les lieux avaient gardé les appellations des cartes, inscrites sur des bornes aux entrées des chemins. Meublés de blocs de granit aux angles coupants, des ravins signalaient de vieux abris de guerre. Entre les sapinières, qu’elles suivaient sur des kilomètres, des lignes électriques filaient par des trouées. Des croix commémoraient les morts, et aux dires d’Arielle, des sentiers s’adaptaient aux tracés d’anciens tramways des forêts.
Lorsque nous nous sentions tentés de chercher notre route à l’aide de ces signes, un seul regard de la petite fille nous rappelait que nous nous trouvions loin du but : et tout se distendait…