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Extrait du roman inédit « Géographies de la passion »

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Vincent remonte vers le Nord.
Protégeant des sols oubliés, d’une noirceur humide, où dorment des plantes fantômes, la neige persiste à le purifier.
Très fine dans les sous-bois, elle se mêle à des feuilles mortes, souillées, qui crissent sous les pas. Lorsqu’on la casse, ce mélange d’humus et de blancheur sale ne dissimule jamais rien.
Vincent se juge vieux. Avec les marques des épreuves, il n’a plus rien du bel adolescent d’avant. Contaminés par la froidure, ses cheveux sont couleur de gel, et dès qu’il pense à son aimée, ses rêves reviennent chargés de peur : au milieu de ce chemin vierge, il ne la reconnaîtrait pas.
Pour échapper au maléfice, convoquer le bateau, ses imbrications de ponts et d’escaliers ?
Mais lui qui régnait jadis sur l’espace, il s’égare à présent.
Quelquefois même, dans son délire, il voit glisser, sur la crête d’un bois, des mâts et des terrasses. En haut, figures étincelantes sur un ciel gelé, se tiennent Grim et Jean, mais entre la fuite et l’instant présent, rien…
Clairane n’a pas disparu. Revenue au bateau, elle s’est assagie, sans doute, et Jean persiste à la soigner, mais elle n’aime plus personne. Le paysage manque d’air, et le jour terne le plonge dans une pénombre d’ardoise.

À des signes légers, le voyageur sent bien qu’il marche à présent vers le Sud. Rien à voir avec le climat, peut-être même fait-il encore plus froid, et sa chair s’ankylose, et ses habits durcissent. Mais la neige change aussi. Avec de curieux phénomènes (bourgeons un peu teintés, pris dans la glace, comme dans un bouchon de cristal), elle s’illumine de lichens.
Parfois, le bruit d’une source, qu’il tente de débusquer. Alors, de leurs fines aiguilles, des sapins le lacèrent. Quand il débouche sur des clairières, fendues de rayons en biais, où le vent tinte avec des échos morts, aucun indice pour orienter sa marche : il doit se fier à ses douloureux instincts.
Brusquement, dans sa chair, il reconnaît une blessure, et l’attribue à ses désirs trop vifs, à de vaines résistances. Si la souffrance demeure vague, il sait qu’il pourrait en périr, de ce feu nourricier.

Un soir, après un coucher de soleil plus long que d’habitude (l’illusion s’explique par des nuages clairs, qui filtrent une huile rose), voici que la forêt s’embrase, et crépite de songes. Impossible de discerner l’origine de ces frémissements, et il faut s’attarder sur sa propre douleur, la peau moite et gonflée du bras, d’où perle toujours une goutte…
Il tiendra bon, pourtant, le ciel s’amincira : plus de volutes fuligineuses, mais un gris plus léger, ou bien ce bleu qu’on voit planer par bancs intermittents. Plutôt que de grimper aux arbres, plutôt que de chercher au loin les rondins d’une cabane à demi écroulée, il aimerait s’abandonner au froid.
On ne souffre pas tant, dit-on, lorsque le gel s’est installé, et baigne tout de son fluide létal. Le cerveau s’endort très rapidement, mais nul besoin, peut-être, de ce genre de paresse, peut-être est-ce le feu de l’infection qui le terrassera, la fièvre…
Cette bonne et dure fièvre, dont conserve des images dans des draps aussi blancs que la glace. Cette chaleur abondante qui vous plonge dans le sommeil, et les citrons pressés, l’immensité d’un lit où vibrent les années.

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